La 35e édition du festival Jazz em Agosto organisé par la Fundação Calouste Gulbenkian à Lisbonne met à l’honneur John Zorn. Dix soirées qui permettent de mettre en lumière différents aspects de ses récents - ou un peu moins - travaux. Si je n’ai pas prévu d’assister aux trois derniers soirs, cela me laisse tout de même une semaine complète de réjouissances. Ou presque. Parce qu’avec plus de trois heures de retard sur le vol Prague-Lisbonne vendredi, j’ai été forcé de passer mon tour pour le premier concert, une rencontre improvisée avec Zorn, Thurston Moore (de Sonic Youth) et quelques guests (Mary Halvorson, Matt Hollenberg, Greg Cohen, Drew Gress et Tomas Fujiwara).
On retrouve sur scène en ce deuxième soir une partie des invités de la veille. Mary Halvorson se présente en effet à la tête de son quartet avec lequel elle a enregistré le 32e et dernier volume du Book of Angels, le deuxième songbook de Masada. La guitariste est accompagnée par un deuxième guitariste, Miles Okazaki, ainsi que par Drew Gress à la contrebasse et Tomas Fujiwara à la batterie. Ils interprètent quelques compositions de Zorn tirées dudit disque, alors que le compositeur, et Joey Baron, les observent en fond de scène. Il y a peu de solos dans cette musique - on en notera toutefois un plein de classe de Fujiwara. Le groupe préfère jouer sur les combinaisons et complémentarités, notamment entre les deux guitaristes. Miles Okazaki, principalement entendu jusqu’à présent aux côtés de Steve Coleman, insiste sur la dimension rythmique. Il répète en boucle de courtes phrases qui permettent à la leader de tourner autour de la mélodie, agrémentant son discours de déviations soudaines, de multiples obstacles rythmiques, et d’effets dissonants. A d’autres moments, les phrases des deux guitaristes semblent se compléter, entre dialogue intimiste et course-poursuite dans les passages les plus échevelés. Drew Gress assure la pulsation régulière sans jamais être mis en avant, mais il excelle dans ce précieux rôle de l’ombre. Tomas Fujiwara est lui léger et virevoltant sur les cymbales, propulsant l’ensemble sans en rajouter. De manière générale, le groupe dégage un esprit de sérieux, loin de chercher à mettre en lumière ses individualités, concentré sur les compositions de Zorn et la manière de les servir au mieux. Le phrasé de Mary Halvorson est, de manière symptomatique, assez éloigné de celui dont on a l’habitude sur ses propres compositions. Moins accidenté, plus directement mélodique, faisant ressortir avec précision la simplicité mélodique à l’origine même du projet Masada. Avec juste ce qu’il faut de petites surprises, et une part laissée aux digressions improvisées plus large que sur disque. Belle entrée en matière.
A peine les musiciens de Mary Halvorson sont-ils sortis de scène que les quatre membres de Masada les remplacent. Jamais vu un changement de plateau aussi rapide ! Le groupe fête cette année ses vingt-cinq ans d’existence, et cela s’entend. Tout semble réglé au millimètre, et leur joie à se retrouver ensemble sur scène est évidente. Pour l’occasion, ce sont des compositions du Book of Angels qui sont à l’honneur, essentiellement tirées du 12e volume (celui ou Dave Douglas, Greg Cohen et Joey Baron faisaient équipe avec Joe Lovano et Uri Caine). Ce n’est donc pas tout à fait le répertoire usuel du quartet, plus habitué à puiser dans le premier songbook. Mais cela fonctionne tout aussi bien, avec en plus le bonheur d’entendre un peu de « nouveauté » pour ce groupe tant et tant écouté. Zorn n’a plus besoin d’être vraiment directif, à peine esquisse-t-il le rythme avec ses doigts pour lancer les morceaux, ou coordonne-t-il ses interventions bruitistes avec Dave Douglas. Pour le reste, tout semble agir comme par télépathie. On retrouve quelques « ingrédients » propre à un concert de Masada, comme un solo de Joey Baron à mains nues sur les toms ou des breaks rythmiques contrôlés par Zorn d’un geste, mais sans en rajouter. Du coup, on est plus concentré sur la puissance mélodique, plus jazz que jamais sur ces compos particulières, et sur l’interaction joueuse entre les deux souffleurs. Plaisir renouvelé, et pas seulement parce qu’on y trouve nos habituels repères. Double dose de plaisir, donc.
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