Dans le cadre d'une série de concerts en hommage à Serge Gainsbourg - en parallèle à l'exposition qui lui est consacrée à la Cité de la Musique - quelques musiciens new-yorkais, entre scène Downtown et rock arty, avaient rendez-vous Salle Pleyel mercredi soir. L'idée était d'adapter pour la scène la compilation parue sur Tzadik il y a plus de dix ans. Quatre groupes se sont ainsi succédés, chacun interprétant trois titres issus du riche répertoire gainsbourien. Le format même du concert conduisait, quasi naturellement, à un certain écueil : pas d'installation de la musique dans la durée ; il faut saisir dans l'instant ce que l'on aime. On est conduit à picorer dans la matière sonore proposée et presque forcé à juger la performance sous le seul angle du quantitatif. Et à cette aune là, la réaction du public à la fin résumait bien la sensation générale : une bronca face à une soirée qui paraissait par trop minutée - le programme distribué à l'entrée indiquait une fin vers 21h40... ce qui fut tenu.
La présentation du concert pouvait conduire à quelques incompréhensions supplémentaires pour qui ne connaissait pas le projet. Annoncé dans le programme de la salle sous l'intitulé "John Zorn & Tzadik", il a dû attirer autant des addicts de la Downtown Scene que des amoureux de la chanson française, sans que forcément ni les uns ni les autres ni trouvent finalement leur compte. Les échos à la sortie du concert étaient ainsi aussi contradictoires que complémentaires : pas assez radical pour les uns, trop déstructuré pour les autres. Quant à John Zorn, il n'aura fait qu'une simple apparition pour chanter en compagnie de tous les musiciens de la soirée sur le morceau final (et sur le rappel consenti après quelques minutes de protestation). Tout ou presque était donc fait pour entraîner la déception, à plus ou moins forte dose.
Malgré ce contexte général pas forcément propice, il faut reconnaître de beaux moments de musique au cours de la soirée. La succession de quatre groupes aux partis pris esthétiques différents permettait ainsi de dresser un portrait kaléidoscopique de l'œuvre du grand Serge. Cyro Baptista emmenait l'auteur du voyageur Aéroplanes vers une exotica très éclatée qui résonnait de percussions brésiliennes, de 'oud oriental ou de kora africaine. Elysian Fields alanguissait la pop raffinée de Bonnie & Clyde dans une version sensuelle pour BB gothique. Marc Ribot insufflait un parfum de dissonances new-yorkaises dans les résonances londoniennes de la comédie musicale télévisuelle Anna. Enfin Sean Lennon, non sans surprise, bousculait façon hip-hop Comic Strip avec sa copine mannequin Kemp Muhl.
Le meilleur de la soirée furent pour moi - ce qui n'a rien d'étonnant - les interventions de Marc Ribot. Pour l'occasion le guitariste était accompagné de son trio Ceramic Dog (Shahzad Ismaily à la basse et Ches Smith à la batterie), déjà vu il y a deux ans à La Dynamo, augmenté de la chanteuse et violoniste Eszter Balint. C'était d'ailleurs un petit plaisir de voir cette dernière "en vrai", pour la seule (mais bonne) raison que cette mystérieuse inconnue n'est autre que la jeune cousine de John Lurie tout juste débarquée de Hongrie dans Stranger than Paradise de Jim Jarmusch. Culte. Sur Black Trombone, Ribot a démontré tout l'intérêt de l'art de la reprise quand il sait allier amour de la chanson d'origine et nécessité d'y injecter un regard personnel. L'aimable mélodie jazzy de 1962 se trouvait ainsi projeter dans un univers où la distorsion est des plus musicales, qui rappelait l'ébullition du jazz libre à New York vers 1962. Les chiens de faïence ont pioché le reste de leurs interventions dans le matériau d'Anna, avec tout d'abord une version rock quasi straight d'Hier ou demain, interprété à l'origine par Marianne Faithfull (présente dans la salle d'après l'annonce de Ribot), puis surtout une relecture parfaite du génial Un poison violent, où Gainsbourg faisait claquer les mots de Bossuet face à un Brialy désabusé. Eszter Balint récitait le discours du prédicateur sur "la vie des sens" sur fond de rock déglingué, tout aussi tordu que puissant. On aurait aimé que cela dure plus longtemps.
Pour le reste, après un début laborieux, le quartet réuni par Cyro Baptista offrait une jolie relecture de La ballade de Melody Nelson, avec un piano répétant en boucle les notes introductives de la mélodie, sans en achever la phrase. Un bonheur qui se refuse alors qu'on le touche presque du doigt : belle sensation. Elysian Fields a en revanche tendance à vite lasser avec les poses langoureuses trop appuyées de Jennifer Charles. Enfin, le fils de John et Yoko a paradoxalement plus d'intérêt quand il quitte le terrain familier de la pop pour s'amuser à rapper et beatboxer Comic Strip en compagnie de sa BB, tout aussi belle plante sans véritable autre intérêt que l'originale.
Pour le final, Zorn a rejoint l'ensemble des musiciens sur scène. Comme sur la compilation, il interprétait Contact. Mais là où la version gravée était vraiment originale par son utilisation du re-recording et le chant a capella de Zorn seul en piste, la version du concert ressemblait à un prétexte pour faire monter le gourou de Downtown sur scène (et justifier l'argument de promotion du concert). Quand on connaît le sens de la précision et de l'autorité qu'il peut avoir dans la conduite de ses groupes, les vagues gestes d'organisation de la musique en disaient long sur son implication. Mambo miam miam, rappel obtenu après de longs sifflets, ne changeant en rien cette impression.
Au final, un sentiment étrange domine. On attendait beaucoup de cette soirée, vus les noms présents sur le papier. Et les bonnes choses piochées au cours du concert, par le potentiel qu'elles laissaient entrevoir, renforçaient finalement le parfum de déception qui planait sur un résultat aimable mais vraiment pas renversant.
A lire ailleurs : Bien Culturel, Confessions d'un bourgeois.
A peu près d'accord avec toi. J'ai eu très peur au tout début avec Cyro Baptista puis au final, j'aurais volontiers continué un peu.
RépondreSupprimerJe te trouve sévère avec Elysian Fields. On peut tout à fait ne pas être sensible à ce genre de voix mais quelle voix! Et puis surtout, Oren Bloedow, superbe musicien un peu sous estimé. Pas une note inutile, un son de guitare fabuleux, son apparition rappelait le solo de Marc Ribot sur Diamonds all Day, aux débuts d'Elysian Fields.
Depuis, ce dernier en rajoute parfois. Et même si j'adore son jeu, on sait qu'il a un peu tendance à tomber dans la facilité, comme avec Ceramic Dog ce soir. Par contre, Ches Smith était impressionnant.
On oubliera vite Sean Lennon et Charlotte et suis d'accord avec toi sur l'approche de Comic Strip.
Quant au final, c'était un peu triste de voir que Zorn n'évolue pas et se complait dans son treillis ridicule. Quand autour de lui, les musiciens ont joué le jeu du projet et du lieu, le voir arriver comme ça avait quelque chose d'un peu pathétique. Surtout quand on connait le prix qu'il faut débourser pour se "l'offrir"!