mercredi 12 décembre 2007

Hanokh Levin - Krum @ Théâtre de l'Odéon, mardi 11 décembre 2007

Quelques mois après son affaire Makropoulos, Krzysztof Warlikowski est de retour à Paris, à l'Odéon, avec sa mise en scène de Kroum l'Ectoplasme d'Hanokh Levin, créée au festival d'Avignon en 2005. Et c'est magistral. Il a transformé la comédie de Levin en une tragédie burlesque pleine d'un souffle qui transcende la banalité des vies exposées à nos regards.

Warlikowski commence par chambouler le déroulement de l'(in)action. La scène finale, au cours de laquelle Kroum se lamente du vide laissé par la mort de sa mère, se retrouve projetée en prologue sur l'écran qui servira aux surtitres par la suite (la pièce est proposée en polonais). Une issue fatale connue d'avance : le ressort de la tragédie classique est bien là. Tout résonnera donc différemment à présent.

La scène inaugurale du retour de Kroum à Tel-Aviv, alors qu'il annonce à sa mère qu'il n'a rien réussi, ni même rien fait, à l'étranger et qu'il ne lui rapporte qu'une valise de linge sale, prend un sens nouveau par sa juxtaposition au prologue. Au vide laissé par sa mère (dont il s'aperçoit trop tard), Kroum oppose un vide existentiel qui transforme le cliché comique de la mère juive attendant tout de son fils en une douloureuse lamentation silencieuse sur la difficulté de l'absence de destin. Ce retour stérile face à ce départ définitif dessinent comme un va-et-vient immobile où se muent avec difficulté les amis de quartier de Kroum. La galerie de portraits d'êtres sans destin qui compose la pièce (Trouda la bougeotte, Doupa la godiche, Tougati l'affligé, Shkitt le taciturne, etc.) prend alors des tours est-européens qui ne sont pas sans évoquer la dramaturgie russe (Tchekhov en ligne de mire).

Humoir noir et mélancolie mêlés, la mise en scène n'hésite pas, en évoquant l'univers visuel d'Almodovar, à pousser le texte de Levin du comique vers le burlesque. On rit franchement, mais il est bien difficile d'imaginer se moquer des personnages. Leur sensibilité, leur épaisseur (magnifiée par les acteurs) est bien palpable, au cœur de leur désespérante banalité.

On reconnaît par ailleurs des éléments visuels déjà présents dans L'affaire Makropoulos : un même espace profond délimité par trois murs, des références cinématographiques accentuées par la présence de la salle de cinéma sur la scène du théâtre, ou des jeux de lumières en Technicolor qui aiguisent paradoxalement l'atmosphère blafarde de ce quartier paumé de Tel-Aviv. Une même volonté de transplanter l'univers de l'auteur, en en gardant tout le sens, et même pour mieux le révéler, vers ses propres lieux.

Faut-il faire sa gymnastique le matin ou le soir ? Ce cancer qui ronge l'existence de Tougati ne trouvera sa réponse que quand le véritable cancer l'emportera et, qu'enfin, des raisons de vivre apparaîtront. Mais trop tard. Beaucoup trop tard. C'est par la mise en scène de ce trop tard, qui irrigue toute la pièce, que Warlikowski grandit l'oeuvre de Levin. Et confirme son talent.

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