Après avoir vu la version concert, s'être procuré le disque et avoir interviewé Jean-Rémy Guédon, c'était avec une impatience certaine que j'attendais la version scénique du projet Sade Songs du saxophoniste pour son ensemble Archimusic et la chanteuse et comédienne Elise Caron. L'ovni était donné quatre soirs à l'Espace culturel André Malraux du Kremlin-Bicêtre. La dernière soirée était hier, et j'y étais.
La musique et le texte sont déjà d'une extrême richesse. Il y avait un risque évident à vouloir en "rajouter" une couche avec une mise en scène théâtrale. Pourtant, l'écueil est largement évité par une approche assez légère de ladite mise en scène. L'aspect visuel est même un prolongement idéal du texte et de la musique, qui en renforce le sens et la déraison.
Le décor dû à l'illustrateur Stéphane Blanquet, qui signait déjà les dessins sur la pochette du disque, est un théâtre d'ombres chinoises avec des arbres étranges dont les branches se terminent par des têtes, des jambes, des mains ou des sexes. Des bêtes plus ou moins informes, curieux oiseaux-insectes, se baladent dans ce décor. Au milieu de cette inquiétante forêt, Elise Caron, divine marquise surmontée d'une imposante perruque à mi-chemin des Lumières et de Tim Burton, se meut en s'adonnant à quelques plaisirs plus ou moins explicites - tout en chantant les textes du Marquis de Sade. Les musiciens de l'ensemble Archimusic sont disposés des deux côtés de la scène : le quatuor à vent classique à gauche, et le quartet de jazz à droite. Ils sont eux aussi intégrés au décor par de singuliers accoutrements ornés de becs effrayants.
La mise en scène souligne parfois le propos du marquis, mais le plus souvent joue à partir du texte pour dévoiler comme de petites histoires parallèles, pas trop élaborées pour ne pas gêner l'attention portée à la prose de Sade. C'est assez astucieux de la part du metteur en scène Jean Lambert-Wild, qui a trouvé le moyen de rester au service de la musique et de ne pas monter un "théâtre musical" où seul le premier terme compterait.
Les textes sont essentiellement extraits des oeuvres philosophiques de Sade, avec à trois reprises une sorte d'entracte tiré des supplices, pendant lequel Elise Caron se retrouve dans un lit - lieu de plaisir ou de mort ? Par rapport au disque, il y a quelques textes en plus et l'ordre en est un peu chamboulé pour des questions de mise en scène. Quant à la musique, elle est comme toujours avec Jean-Rémy Guédon d'une grande beauté, alliant à merveille les timbres des vents classiques et un aspect cabaret jazz un poil weimarien, tout en accordant quelques espaces à l'improvisation dans cette trame très écrite. En bref, un très joli spectacle qui sera désormais donné à la comédie de Caen en... 2008 (eh oui, il ne fallait pas louper cette apparition francilienne) !
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