jeudi 31 août 2006

Ornette Coleman Quartet @ Cité de la Musique, mercredi 30 août 2006

Ornette ! Un prénom étrange et pourtant si familier. Ornette ! Une interjection joyeuse empreinte d'insouciance. Ornette ! Un son d'alto si particulier au service de comptines mélancoliques douces-amères. Ornette, qui se produisait hier soir en quartette sur la scène de la Cité de la Musique en ouverture du festival Jazz à la Villette.

J'avais déjà pu assister à un concert de l'altiste chapeauté au Châtelet il y a deux ans. Il s'y était produit accompagné par deux contrebasses (Tony Falanga et Greg Cohen) et par la batterie de son fil Denardo. La formation était sensiblement la même hier soir, avec juste la basse électrique d'Al McDowell qui remplaçait la contrebasse de Greg Cohen. Au Carnegie Hall, en juin dernier, il s'était même produit avec ses trois bassistes (cf. ici pour un compte-rendu et pour des extraits mp3).

Si McDowell a participé à l'aventure du Prime Time, le registre du concert d'hier n'était pas dans la veine funk développée par le groupe. Sa présence était d'ailleurs assez discrète, et son jeu s'apparentait plus souvent à celui d'une guitare aux accents bossa (enfin, une bossa un peu étrange, fantomatique, "à la Ornette") qu'aux ronronnement d'une basse électrique. Falanga avait, lui, une sonorité plus présente. Il alternait les morceaux en pizzicato et ceux à l'archet. Il y a deux ans, il intervenait essentiellement à l'archet, alors que la part plus rythmique était assurée par Greg Cohen. Cette évolution montre bien que cette nouvelle mouture du quartette n'est pas un simple décalque de l'ancienne. Et rend d'autant plus intéressante la version en quintette à trois basses. A l'archet, Falanga emprunte plus au répertoire classique (comme en a témoigné sa longue citation du prélude de la première suite pour violoncelle de Bach en introduction d'un morceau) qu'à celui des contrebassistes free qui aiment aussi à se réapproprier l'outil. Ses variations sur l'instrument sont d'une très belle complémentarité avec le jeu d'Ornette au saxophone. La beauté vénéneuse de l'altiste tranche avec délice sur le son rond et enveloppant du contrebassiste.

A la batterie, Denardo Coleman n'a pas fait évoluer son jeu en apparence toujours aussi peu maîtrisé. Mais c'est, évidemment, ce qui plait à son leader de père. Très présent sur les cymbales, on a le sentiment que tout au long du concert un fin vacarme, pas spécialement bruyant mais toujours bien audible, perturbe les mélodies si douces, si simples, si joyeusement tristes d'Ornette. On est loin d'un jeu de batterie orthodoxe qui marquerait le rythme de manière assurée. On a plutôt affaire à une sorte de tapis mouvant, pas bien régulier, qui n'en rend que plus attentive l'écoute du saxophone.

Depuis bientôt cinquante ans, les mélodies d'Ornette ont toujours la même saveur. Qu'elles aient été composées pour le quartette du tournant des années 50/60, pour le Prime Time électrique des années 70/80 ou pour l'actuelle formation, on a le sentiment qu'elles sont interchangeables, à raconter toujours, peu ou prou, la même histoire : celle d'un être solitaire, mélancolique, qui trouve quand même la joie de vivre dans sa vie en apparence banale. Cette impression est évidemment obtenue, en plus du caractère de comptine des mélodies, par le son de l'alto d'Ornette. Un mélange d'acidité tranchante et de douceur langoureuse. Une manière de ne pas jouer technique, de jouer faux, mais pourtant si juste dans l'expression des sentiments.

Hier soir, je n'ai reconnu que les deux derniers morceaux : Song X et Lonely Woman en rappel. Pour le reste, il semblait qu'il s'agissait essentiellement de nouvelles compositions qui seront peut-être présentes sur son disque à paraître prochainement, Sound Grammar. En soi, Lonely Woman est déjà un thème magnifique - l'essence du jazz selon Ornette - devenu un véritable standard du jazz contemporain, mais quand en plus il est joué par l'altiste lui-même, il y a ce je ne sais quoi en plus qui le rend absolument magique. Une fragile beauté qui semble caractériser la musique d'Ornette.

Si j'avais - un peu - préféré son concert au Châtelet il y a deux ans, sa prestation d'hier soir, toujours aussi courte (1h20 grand maximum), était quand même un délicieux moment qui venait rappeler pourquoi j'aime toujours autant écouter ses disques. J'y trouve toujours un petit quelque chose qui me parle directement, sans besoin d'intellectualiser, et qui ne sonne décidément pas comme les autres.

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