mercredi 5 avril 2006

Le maigre feu de la nonne en hiver / AlasNoAxis @ Studio de l'Ermitage, lundi 3 avril 2006

Au concours du nom de groupe le plus étrange, il ne fait aucun doute que "Le maigre feu de la nonne en hiver" a de bonnes chances de l'emporter. Derrière cet original intitulé se cache en fait un trio sax alto / basse électrique / batterie, sur un modèle qui rappelle (de loin) Aka Moon, et qui se produisait lundi soir sur la scène du Studio de l'Ermitage. Au sax, Philippe Lemoine allonge la note, se fait volontiers lancinant, dans un esprit qui évoque une sirène ou certaines formes développées dans la musique carnatique. Avec cette attaque originale des notes, il provoque comme une sorte de stridence hypnotique qui fait beaucoup pour l'identité sonore du groupe. A la basse, Olivier Lété opère dans un registre plus classique, entre grooves bondissants et jeu "guitaristique" plus mélodique. Quant à Eric Groleau à la batterie, il éclate le rythme dans différentes directions pour déboucher sur une accumulation percussive très présente. Il y a de bonnes idées dans ce groupe, dans une veine très "funk cérébral". Peut-être un peu trop d'ailleurs. A la longue, les différents morceaux se ressemblent tous et il manque une chaleur qui entraînerait le public au cœur de la musique. On se contente donc de rester spectateur, un peu sur le côté, en constatant de jolies formules sur l'instant, sans qu'il ne reste vraiment par la suite de moment fort à se remémorer. Même leur reprise d'un morceau de Brigitte Fontaine (Queen of Kékéland, à l'origine enregistré avec Sonic Youth) à la fin de leur prestation manque de la folie qui caractérise pourtant la chanteuse.

La deuxième partie - et le gros morceau - du concert était l'œuvre du groupe de Jim Black, AlasNoAxis. J'aime beaucoup Jim Black le batteur, que ce soit sur disque avec le trio d'Ellery Eskelin ou le Tiny Bell Trio entre autres multiples bonnes choses, ou sur scène lors des deux fois où je l'ai vu - en trio avec Ducret et Sclavis à la Cité de la Musique ou en trio avec Assif Tsahar et Mat Maneri déjà à l'Ermitage - mais jusqu'à récemment je restais assez mitigé face à son propre groupe. J'avais emprunté un album du groupe, Splay (Winter & Winter, 2002), une fois à la médiathèque sans vraiment apprécier. Trop post-rock à mon goût. Pourtant, la présence combinée de Jim Black et de Chris Speed dans ce groupe m'avait conduit à persister et à acheter (en solde) un autre disque du combo, le premier : AlasNoAxis (Winter & Winter, 2000). Meilleure impression, mais toujours avec quelques réserves sur un projet décidément un peu trop rock à mon goût. Le passage du groupe par Paris à l'occasion d'une tournée européenne me donnait donc l'occasion de réviser mon jugement. Et, pour tout dire, j'ai été plus convaincu que par les disques. On retrouve certes cet assemblage entre post-rock et post-jazz, avec des éléments grunge (Jim Black est originaire de Seattle) et downtown (Chris Speed est un des héros de cette scène), mais cela fait beaucoup plus sens en live, quand toute l'énergie du groupe peut s'exprimer. Si sur disque le projet reste un peu froid, sur scène l'inventivité rythmique de Jim Black s'expose pleinement.

Outre les deux Américains, le groupe compte deux musiciens islandais (d'où l'aspect post-rock ?) : Hilmar Jensson à la guitare et Skuli Sverrisson à la basse. Aux côtés du sax ténor entêtant de Chris Speed, ils élaborent une ambiance sonore faite de vrombissements et de répétitions qui laisse au premier plan le drumming de Jim Black. La particularité première de ce groupe, c'est en effet que la batterie est très clairement l'instrument leader, celui qui organise le discours du groupe et qui se permet d'être le plus bavard. La guitare reste assez discrète. Le son de la basse est certes très présent, mais sans qu'elle ne se livre à des développements hors-cadre. Quand à Chris Speed au sax ténor ou à la clarinette, il ne tient pas vraiment de discours mélodique, mais accumule plutôt les couches d'un mille feuille sonore destiné à créer une hypnose rythmique. L'assemblage débouche sur un son très percutant, un peu "crade", et d'une redoutable efficacité qui permet au leader de s'amuser pleinement sur sa batterie, ses multiples percussions et son ordinateur. On se prend progressivement au jeu, à balancer la tête d'avant en arrière dans un mouvement hypnotique qui monte en tension au cours des morceaux, pris entre l'explosion rythmique de Jim Black et les stridences de Chris Speed. Vraiment le genre de musique qui s'apprécie avant tout en concert.

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