Tout le monde en parle ou presque. Le disque des frères Belmondo avec Yusef Lateef est l'évènement du moment dans la jazzosphère hexagonale (vive la géoméfree !). La presse spécialisée bien sûr, mais aussi la presse généraliste. Trois pages dans Le Monde 2 de ce week-end par exemple. Autant dire que La Cigale était bien remplie hier soir pour le concert de la fratrie sudiste et du natif de Chattanooga, Tennessee. Cela se passait dans le cadre du festival d'Ile-de-France, qui s'achève ce week-end, et plus précisément dans le cadre du sous-festival Factory, la branche "jazz & électro" d'un festival plus centré sur le classique en temps normal. Après quelques années passées du côté du Trabendo (et des débuts dans une usine de Saint-Denis, d'où son nom), le festival Factory a vu les choses en grand cette année en investissant la salle du boulevard Rochechouard.
La soirée d'hier commençait par le concert du groupe de Vincent Artaud (vu cet été aux côtés de Julien Lourau). Auteur d'un premier disque mêlant jazz, électro et classique du XXe siècle sur le label B-Flat des frères Belmondo, le contrebassiste était accompagné par six musiciens : Pierrick Pedron aux saxes alto et soprano, Thomas Savy aux clarinettes, Eric Dufaÿ au cor, Pierre-Alain Goualch au piano et un batteur et une flûtiste dont les noms m'échappent pour le moment (je corrigerai plus tard si ça me revient). Deux différences par rapport au disque donc : l'absence des cordes et la présence d'un piano. Une approche un peu plus jazz aussi, avec quelques beaux solos de Pierrick Pedron et de Pierre-Alain Goualch notamment. Pour le reste on retrouve ce qui fait la particularité de cette musique : une inspiration qui puise sa source du côté de Debussy, Stravinsky ou Bartok selon les morceaux, associé à une programmation électronique, le tout dans un langage jazz. Une musique assez intellectuelle, comme le reflète d'ailleurs les noms des morceaux, mais que je ne trouve personnellement pas sans charme.
On restait dans une esthétique très Third Stream (ce mélange de jazz et de classique) pour le concert des frères Belmondo et de Yusef Lateef. Faisant suite à leur disque Hymne au soleil, qui revisitait la musique française du début du XXe siècle (Lili Boulanger, Maurice Duruflé, Ravel et Fauré), leur nouvel opus, Influence, met en avant Yusef Lateef, qui vient de fêter ses 85 printemps, pour une musique au croisement de multiples... influences : classique, jazz, musique orientale... Lateef a en effet été l'un des premiers jazzmen à s'intéresser aux musiques extra-occidentales (d'Asie, du Moyen-Orient, d'Afrique), avant que plein d'autres ne s'engouffrent dans la brèche ainsi entrouverte à partir des années 60. Il a aussi composé plusieurs pièces dans un langage classique. Il était donc le compagnon américain idéal pour prolonger les idées des frères Belmondo. La musique proposée hier soir n'est cependant pas une "musique totale", dans ce que ce terme peut avoir d'enfermant (il "faut" tout citer). C'est plutôt une musique qui ouvre sur l'infini, en laissant beaucoup de place au murmure (c'est très lévinassien cette opposition entre totalité et infini, dis donc...). Le meilleur adjectif pour décrire cette musique est en fait assez simple : elle est coltranienne. Pas étonnant de retrouver un réarrangement d'un classique de Yusef Lateef en hommage au Brother John donc (un des sommets de la soirée d'ailleurs).
Sur scène, ils étaient treize. Ce qui ne leur a pas porté malheur. En arrière plan, le moteur jazz de l'orchestre : Laurent Fickelson au piano, Paul Imm à la contrebasse et Dre Pallemaerts à la batterie. Un flux continu, marqué par l'esthétique du quartet classique de Trane, sert de base rythmique admirable aux vents placés en première ligne. A l'extrême gauche, Lionel Belmondo au sax soprano, à la clarinette et à la flûte mène l'orchestre et indique qui doit jouer quoi. Au centre droit de la scène, Yusef Lateef (flûtes, sax ténor et hautbois) côtoie Stéphane Belmondo (trompette, bugle, conque marine). A leurs côtés, on trouve un flûtiste, un hautboïste, un joueur de cor anglais, Thomas Savy à la clarinette basse, un bassoniste, un joueur de cor et un tubiste. Musique aérienne, un peu mystique, certainement spirituelle, ce que confirme d'ailleurs les mots de Lionel Belmondo entre les morceaux. Après les interprétations de Shafaa et Influence, le tromboniste Glenn Ferris rejoint l'orchestre. Il brillera particulièrement dans ses solos lors de la Suite Overtime qui réarrange quatre classiques de Yusef Lateef. Les solos des frères Belmondo, notamment Stéphane magistral à la trompette, et les interventions de Lateef aux diverses flûtes, élèvent le niveau de l'ensemble vers les sommets du jazz, quand les interventions des autres vents donnent des accents plus classiques à l'ensemble. Au final, une superbe musique qui réussit à ne pas "enfermer" les solistes dans l'écriture très poussée des morceaux. Gros succès de la part du public qui s'est levé comme un seul homme dès la dernière note du concert jouée. Une standing ovation véritablement spontanée, ce qui est quand même assez rare. Magnifique.
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