Trio de choc hier soir sur la scène du Sunside : Aldo Romano, Rémi Vignolo et Bojan Zulfikarpasic. Des musiciens que j'ai toujours un grand plaisir à aller écouter en concert (c'est assez régulier). Ce fut une nouvelle fois un excellente soirée. J'avais déjà vu Vignolo en trio avec chacun des deux autres (par exemple, avec Bojan en mars dernier), mais cette combinaison très prometteuse était une première.
Y a-t-il un leader et des sidemen avec un tel trio ? Aldo Romano, par la force de l'âge, est le plus connu du grand public, et signait d'ailleurs la majorité des morceaux joués hier soir, mais ses deux complices d'un soir étaient loin d'être réduits au rôle de faire-valoir. Bojan Z, en tant que pianiste, peut sembler mener le discours, mais Vignolo + Romano, c'est bien plus qu'une section rythmique. Rémi Vignolo et sa contrebasse chantante a tout d'un leader naturel, mais la configuration du triangle était avant tout équilatérale. Pas de leader donc, mais à la place beaucoup de feeling, de clins d'oeil complices, de larges sourires communicatifs et une musique qui jaillit ici, coule volupteusement là, rebondit par surprise, exprime tendresse, mélancolie, petites joies simples, racines italiennes ou balkaniques, et ouverture sur le vaste monde.
Le premier set a commencé par Hulio's Blues, un thème de Bojan qu'on trouve sur The Rise de Julien Lourau. Un morceau très chantant, à la mélodie limpide, qui plaçait d'emblée le concert sous le signe de la bonne humeur. Pourtant les morceaux suivants, signés Aldo Romano, puisaient volontiers dans le registre de la mélancolie. Avec, comme d'habitude avec le batteur italien, des mélodies toutes plus fines les unes que les autres, pour exprimer ici un amour éteint sur fond de banlieue morose, là la pauvreté qui règne à Port-au-Prince. Le premier set s'est achevé sur une improvisation autour du thème de Caravan, qui revenait deux ou trois fois au cours du morceau au détour de longues échappées en toute liberté. L'expression de ceux qui ont tout compris au jazz : une musique ludique, qui joue simultanément sur les repères de la mémoire populaire et sur les effets de surprise pour mieux embarquer le spectateur vers de nouveaux horizons.
Le deuxième set voyait s'enchaîner des morceaux un peu plus explosifs, comme cette incursion vers les rythmes binaires du rock, à travers une vieille composition d'Aldo Romano, du temps où il jouait de cette musique justement. L'occasion également pour Bojan Z d'interpréter son délicieux Groznjan Blue, qui évoque ses racines yougoslaves, avec un Aldo Romano très délicat aux balais, et surtout une complémentarité mélodique entre Bojan et Rémi Vignolo assez magique. Entre deux morceaux, la vision pour le moins mordante d'Aldo Romano sur les nouveaux "chanteurs" français croisés lors d'une soirée en hommage à Claude Nougaro a bien faire rire le public. Peut-être une manière aussi pour le batteur italien de masquer son émotion pourtant assez palpable au moment d'interpréter l'une de ses plus célèbres compositions, Il Camino, connue pour avoir servi de base à la chanson Rimes de Nougaro. Un incroyable moment de tendresse en hommage à l'ami défunt pour conclure un set qui avait commencé sur un climat opposé.
Le troisième et dernier set, un peu plus court que les deux précédents, a notamment été l'occasion d'une dynamique relecture de Nutty de Thelonious Monk, avec un Bojan Z bondissant sur les peu évidents accords monkiens. Etrangement, il n'y eut durant tout le concert qu'un seul morceau issu du répertoire du magnifique Threesome d'Aldo Romano, et c'était pour conclure la soirée : Song for Elis, une douce ballade en hommage à Elis Regina. Pour prolonger dans les ambiances brésiliennes, lors du rappel, Aldo Romano a laissé la batterie pour chanter Estate, chanson certes italienne à l'origine, mais rendue célèbre dans le monde entier par Joao Gilberto. Là aussi, Nougaro l'avait adaptée en français.
A la sortie d'un tel concert, on n'a qu'une hâte : pouvoir à nouveau les écouter ensemble très prochainement, et pourquoi pas, chez soi, à l'occasion d'un disque.
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