La liste des noms des musiciens suffirait presque à résumer la qualité des trois concerts auxquels j'ai assisté hier. La journée a commencé avec Stéphane Belmondo et Hermeto Pascoal dans le cadre du Paris Jazz Festival, avant de se prolonger dans la nuit montmartroise avec le concert de Michel Portal et Mino Cinelu dans le cadre de Paris quartier d'été.
Le quartet que Stéphane Belmondo a constitué pour son projet Wonderland, autour de la relecture de morceaux de Stevie Wonder, est une petite merveille d'équilibre, de swing et de justesse. Après l'avoir vu en club l'année dernière (ambiance plus intimiste, trois sets), le concert d'hier était l'occasion de prendre une nouvelle fois beaucoup de plaisir, dans des conditions un peu différentes (plein air, avec des bruits parasites donc, un seul set). Mais, vue la beauté de la musique jouée, on arrive assez bien à faire abstraction de tout ce qui pourrait perturber l'écoute. Eric Legnini, au piano, a une nouvelle fois fait la démonstration de son talent, tout en lyrisme léger et swing entraînant. Laurent Robin, à la batterie, nous a gratifié d'un superbe solo sur la fin, après avoir assuré une pulsation rythmique des plus élégante tout au long du concert. Et, même s'il est plus en retrait, le contrebassiste Paul Imm complète de manière idéale ce carré d'as du swing. Sur les lignes enchanteresses tressées par ses acolytes, Stéphane Belmondo, à la trompette et au bugle, pose délicatement son phrasé toujours très mélodique, soulful comme disent les Américains. Il ne tire par ailleurs pas toute la couverture à lui, laissant à de nombreuses occasions le trio d'accompagnateurs développer son propre discours. La journée commençait rudement bien.
Hermeto Pascoal est l'un des individus les plus étranges de la jazzosphère. Albinos brésilien, poly-instrumentiste improbable (de l'accordéon à l'arrosoir en passant par le piano, les verres ou même... des cochons), longues barbe et chevelure blanches, le sorcier amazonien fait musique de tout. De la bossa aux expériences électriques de Miles Davis, en passant par la relecture des folklores nordestins ou l'invention d'un jazz free en résonnances avec les sons de la jungle amazonienne, il est pafois délicat de suivre le parcours protéiforme de ce grand petit bonhomme. J'attendais donc avec impatience d'enfin pouvoir le voir en concert, lui qui vient assez peu souvent de ce côté-ci de l'Atlantique. Accompagné d'un pianiste, une chanteuse, un saxophoniste, un bassiste, un percussionniste et un batteur, Hermeto Pascoal, lui-même le plus souvent aux claviers électriques, nous a proposé un véritable jazz brésilien. La recontre de ces deux univers si riches (le jazz et la MPB) n'est pas si fréquente, et rarement à la hauteur. L'un prend toujours le pas sur l'autre. Que ce soit des jazzmen qui jouent - gentillement - de la bossa, ou au contraire des artistes brésiliens qui s'essaient aux ornementations plus jazzy que véritablement jazz. Avec Hermeto Pascoal, rien de tout cela, mais au contraire une musique vivante, libre, rieuse. Comme s'il mettait la nature en musique. Le terme de jungle employé pour qualifier les suites d'Ellington dans les années 30 conviendrait parfaitement aux miniatures swinguantes d'Hermeto Pascoal. On croit entendre le bruissement de la forêt, les cris d'animaux inquiétants, le cours du fleuve pas toujours très tranquille, les danses sacrificielles de quelques indigènes anthropophages, mais aussi les rituels festifs du forro nordestin, les rythmes urbains du jazz bop, les sons de la vie quotidienne dans les grandes métropoles. On ne sait plus très bien, à l'arrivée, si l'on est en pleine forêt amazonienne ou au milieu de la forêt de gratte-ciels de Sao Paulo. Mais Hermeto Pascoal, c'est aussi une sorte de lutin rieur, qui joue avec des verres, fait chanter le public, invite Stéphane Belmondo a participé à la fête, fait danser dans les têtes (quand ce n'est pas sur la tête), cite Round Midnight ou Autumn Leaves pour mieux les tropicaliser, et révèle une constellations de talents méconnus au sein de son groupe, comme cette chanteuse qui sort des sons aigus et onomatopiques mais au caractère extrêmement dansant, ou ce jeune pianiste au jeu rythmiquement complexe mais toujours très fluide. Hermeto Pascoal, quasi-septuagénaire (il est né en 1936), c'est en fait, à l'image de celui qu'il accompagna brièvement en 1970, un grand sorcier, mais aussi un grand sourcier qui fait jaillir les notes comme personne.
Que se racontent un basque et un martiniquais quand ils se retrouvent côte à côte sur une scène ? Des histoires de folklores. De folklores imaginaires. Les plus beaux. C'est en tout cas ce qu'ont fait Michel Portal (clarinette basse, sax soprano et bandonéon) et Mino Cinelu (batterie, toutes sortes de percussions et programmation électronique) hier soir dans le sympathique cadre des Arènes de Montmartre. Largement improvisée, leur rencontre (même si ce n'était pas leur première) se plaçait ostensiblement sous le signe du plaisir partagé. Entre eux deux, et avec le public. Si je te joue cette mélodie, par quel rythme me réponds-tu ? Si je te joue tel rythme, quel discours vas-tu pouvoir tenir dessus ? Si je joue tango, pourras-tu chanter en créole ? Ces deux musiciens ont tellement de musique dans leurs mémoires que leurs sonorités se font vite voyageuses pour le spectateur. Difficile de ne pas répondre à l'appel d'un embarquement immédiat quand la douce voix de l'hotesse Air France se mue en la clarinette basse de Portal. De quoi achever de la plus agréable des manières une journée pleine des plus belles notes qu'on puisse entendre.
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