Je suis allé voir Schweyk, de Bertolt Brecht, hier soir aux Amandiers. Ce n'est que la deuxième fois que cette pièce est montée en France, et la première remonte aux années 60. Jean-Louis Martinelli (l'actuel patron des Amandiers et le metteur en scène de la pièce) a eu une riche idée de proposer cette comédie musicale inspirée du fameux personnage de Jaroslav Hasek. Ce fut une vraie réussite.
La brave soldat Chvéïk est né au début du XXe siècle sous la plume de Hasek dans des journaux praguois sous forme de feuilletons. Après la première guerre mondiale, Hasek en a tiré trois livres, particulièrement drôles, qui ont fait de Chvéïk l'un des héros du peuple tchèque au même titre que Jan Hus.
En 1928, Brecht a monté, avec Erwin Piscator, une première adaptation théâtrale des aventures du brave soldat. Lors de son exil américain pendant la Seconde guerre mondiale, il a eu l'idée de l'adapter au contexte du moment après avoir vu Le Dictateur de Chaplin. Comme il l'avait fait avec Kurt Weill pour L'Opéra de Quat'sous, Brecht a travaillé avec un compositeur pour faire de la pièce une comédie musicale, inspirée à la fois par Broadway et par les mélodies populaires des tavernes d'Europe centrale. C'est Hanns Eisler, futur compositeur de l'hymne officiel de la RDA, qui s'est chargé d'écrire la musique.
Pour l'adaptation aux Amandiers, c'est le guitariste Rodolphe Burger, et son Meteor Band, qui s'est chargé de transcire la musique de Eisler dans une version un peu plus rock (pour un format guitare, piano, basse, batterie - avec notamment Maxime Delpierre à la guitare). Cela donne parfois une adaptation au deuxième degré, quand par exemple une chanson reprend la ligne mélodique de La Moldau de Smetana. Les paroles ont également été traduites en français, sauf quand ce sont les nazis qui chantent. Dans ce double rôle de comédien et de chanteur, c'est évidemment Elise Caron (Madame Kopecka, la tenancière de la taverne où traine Schweyk) qui rayonne le plus. Normal, puisqu'elle est avant tout une formidable chanteuse (guettez le programme du Triton pour la rentrée). C'est d'ailleurs sa présence qui m'a véritablement donné envie de voir cette pièce.
Schweyk est lui interprété par Jean-Pierre Bacri. Avant de voir la pièce, j'avais une représentation de Schweyk basée sur les illustrations de Josef Lada, autrement dit Bacri ne collait pas spécialement physiquement au rôle. De même, il ne me semblait pas avoir ce caractère naïf particulier à Schweyk. Pourtant, Bacri s'en sort plutôt bien, en jouant notamment à merveille sur le double sens des discours de son personnage. On ne sait jamais très bien si c'est du lard ou du cochon, s'il est complètement idiot ou s'il est un génial provocateur. C'est d'ailleurs cette particularité qui fait que Schweyk, l'homme tchèque ordinaire par excellence, se retrouve (malgré lui ?) être le grain de sable qui dévoile toute l'absurdité de la machine infernale du IIIe Reich. Le passage où il parle de la pureté de la race chez les chiens (il est trafiquant de chiens volés) à un officier SS est en cela un grand moment.
La mise en scène, assez sobre, est elle aussi une réussite. Elle emprunte d'ailleurs quelques idées à la version d'origine de Piscator, notamment l'utilisation de tapis roulants pour faire marcher Schweyk vers Stalingrad, enrôlement de force dans l'armée allemande oblige.
Cette pièce, dans son format, rend ainsi un bel hommage à l'Allemagne de Weimar, à ses cabarets et son théâtre d'avant-garde populaire.
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