Le festival Sons d'hiver se poursuivait samedi avec le concert inaugural du nouvel ONJ, dont les rênes ont été confiées jusqu'en 2017 à Olivier Benoit. Pour l'occasion tout le microcosme du jazz hexagonal avait fait le déplacement : musiciens, programmateurs, journalistes... et même quelques simples spectateurs comme moi. La première partie avait été confiée à un fidèle du festival (cela doit faire plus de dix ans qu'il est là chaque année), William Parker. Le contrebassiste retrouvait le pianiste Dave Burrell avec lequel il avait déjà pu échanger au sein de son orchestre dédié à la musique de Curtis Mayfield (vu à La Villette en 2006 par exemple). Loin des sonorités du soulman, les deux Américains ont proposé une suite ininterrompue, longue improvisation où la contrebasse vrombit en continu tandis que Dave Burrell jette en vrac des accords teintés de bleu dans la mêlée. Le caractère ininterrompu n'aide pas l'auditeur a trouvé une porte d'entrée dans cette musique assez abstraite - sans être pour autant déstructurée. Tout semble un peu monochrome, il n'y a pas de variation rythmique qui donnerait du relief à la performance. Du coup, on essaie de s'accrocher, on lutte pour maintenir l'attention, mais finalement on a le sentiment d'avoir laissé passer le train, sans avoir pu monter dedans. Dommage, surtout que Dave Burrell reste associé à l'un de mes disques préférés, Blasé d'Archie Shepp.
Après l'entracte, place donc au nouvel Orchestre National de Jazz. Le choix des musiciens opéré par Olivier Benoit nous faisait saliver d'avance. En effet, sur les onze membres de l'orchestre, il n'y en a que deux que je n'avais pas eu l'occasion de voir en concert jusqu'à présent, le trompettiste Fabrice Martinez et le tout jeune clarinettiste Jean Dousteyssier. Pour les autres, ce sont des valeurs sûres des musiques créatives d'aujourd'hui. On remarquera - et cela s'entendra à certains moments - qu'ils sont nombreux à avoir croisé la route de Marc Ducret ces dernières années, ce qui en dit long à la fois sur la centralité du guitariste et sur l'exigence musicale de ce nouvel ONJ. Pour ce premier concert du mandat d'Olivier Benoit, l'orchestre a joué une longue suite intitulée Paris. Il s'agit de la première étape du programme Europa que le directeur artistique souhaite développer tout au long de son passage à la tête de l'ensemble. Berlin et Rome devraient suivre. Portraits de villes, ce programme cherche à capter les climats musicaux qui émergent des grandes métropoles européennes, loin de toute volonté patrimoniale. Pour Paris, Olivier Benoit n'a eu en quelques sortes qu'à faire la synthèse des parcours croisés des membres de l'orchestre, tous actifs sur la scène parisienne. On entendra ainsi comme des échos de quelques grandes formations essentielles de ces dernières années comme Radiation 10 (Hugues Mayot et Fidel Fourneyron en partage), comme Le Sens de la Marche de Marc Ducret (Bruno Chevillon, Eric Echampard, Paul Brousseau et Hugues Mayot en commun) ou comme le Circum Grand Orchestra lillois, auquel Olivier Benoit participe activement.
La musique de l'ONJ partage ainsi avec ces ensembles des préoccupations esthétiques typiques de la génération des trentenaires et quadra du jazz hexagonal : soit un jazz nourri de minimalisme, de rock tendances prog et métal, rythmiquement structuré par les expériences post-Steve Coleman et la rigidité des machines, tout en maintenant vivace un héritage free et bruitiste qui permet de s'affranchir sans cesse de ses propres carcans. Pas étonnant d'entendre ainsi, sur quasiment toute la durée du concert, un rythme qui semble issu d'une composition de Steve Reich parcourir les différents pupitres les uns après les autres dans un tourbillon obsessionnel qui fait le lien entre les différents climats parcourus.
Le dispositif scénique place la rythmique un peu surélevée en arrière. Olivier Benoit (g) et Bruno Chevillon (cb, elb) encadrent ainsi Eric Echampard (dms) qui trône au centre du dispositif. Mêmes s'ils ne jouent pas tous en permanence, on ressort du concert avec un tel foisonnement rythmique dans la tête, que leur rôle est vraiment primordial dans la propulsion du morceau (qui donne, effectivement, l'impression d'avancer - ou, peut-être, de parcourir les rues de Paris, mais plutôt de façon motorisée alors). Les claviers sont disposés à chaque extrémité de la scène. Sur la gauche, Sophie Agnel oscille au grand piano entre soutien rythmique répétitif et grandes déflagrations bruitistes, accentuées par sa maîtrise sans faille des techniques étendues. Sur la droite, Paul Brousseau jouent avec ses claviers électriques, dans d'étonnants dédoublements rythmiques des interventions du piano ou dans des ornementations percussives très liquides qui offrent de beaux écrins aux souffleurs. Enfin, sur le devant de la scène sont alignés les instruments mélodiques avec, de gauche à droite, Théo Ceccaldi (vln, vla), Jean Dousteyssier (cl, bcl), Hugues Mayot (as), Alexandra Grimal (ts, ss), Fabrice Martinez (tp) et Fidel Fourneyron (tb, tuba). Soient de nombreuses possibilités offertes à l'orchestre de briller, en alternant avec bonheur les passages collectifs surpuissants et les combinaisons sonores plus intimes à quelques uns. La musique de Paris offre ainsi beaucoup de relief, sans jamais perdre le lien rythmique qui unifie cette longue suite.
Après la démarche parfois un peu trop "revisiteuse" (en tout cas à mon goût) du précédent ONJ, on découvre avec plaisir les ambitions d'Olivier Benoit comme compositeur, soucieux dès le départ d'inscrire l'orchestre dans une confluence des présents des musiques créatives. Et, vu le résultat enthousiasmant dès leur premier concert, la suite promet déjà beaucoup !
A lire dans les archives : Sophie Agnel et Olivier Benoit en trio avec Daunik Lazro en 2006.