Place à la démesure pour l'ultime partie du marathon. D'abord celle de la salle. Après les 800 places de la Cité de la Musique, puis les 2 000 de l'espace Charlie Parker, direction la nef de la Grande Halle qui porte la capacité d'accueil à 4 000 personnes. Il faut dire que les marathoniens sont rejoints pour l'occasion par les fans de Mike Patton, véritable co-tête d'affiche de ce troisième round. Démesure du temps consacré à chaque groupe également. Si la deuxième partie ne proposait qu'un condensé parfois un peu frustrant de chaque ensemble, cette fois-ci chacun se voit consacrer près d'une heure ce qui nous conduit rapidement vers une heure du matin. Démesure musicale, enfin, avec une avalanche de hurlements surpuissants et de solos pyrotechniques appuyés par une rythmique apocalyptique.
The Song Project nous prend d'entrée de jeu à la gorge avec une reprise de Batman, thème qui ouvrait il y a près de vingt-cinq ans le premier album de Naked City. Mike Patton s'en donne à cœur-joie, dévorant le micro de ses cris si personnels, tenant le rôle du sax hurleur qui déferlait sur la version originelle. Avec The Song Project, Zorn revisite son répertoire y ajoutant des paroles, interprétées tour à tour par Mike Patton, Sofia Rei (entendu sur Mycale, le treizième volume du Book of Angels) et Jesse Harris. Naked City, Masada, Filmworks ou The Dreamers, les thèmes piochent dans des ambiances diverses et s'enchaînent sans transition. Ainsi, après l'introduction ogresque, la ravissante Argentine prend le relai, et le contre-pied, pour une version soyeuse de Besos de Sangre, mélodie latine portée par la guitare acoustique de Marc Ribot. Si Patton et Sofia Rei m'enchantent, dans des registres forts variés, en revanche la voix nasillarde de Jesse Harris m'insupporte au plus haut point. Heureusement, il est celui qui est le moins mis en avant, n'intervenant seul que sur deux chansons. Pour accompagner les trois chanteurs, Zorn recycle ses Dreamers, à l'exception près des claviers confiés à John Medeski plutôt qu'à Jamie Saft. Les instrumentistes - à l'exception de Ribot et Medeski qui se voient octroyer un peu de place pour des solos - sont là pour supporter les voix et non pour leur voler la vedette. Du coup, le succès - inégal - des morceaux repose avant tout sur l'appropriation que s'en font les chanteurs. Et comme ces thèmes n'ont pas été écrits à l'origine pour recueillir des paroles, ça varie entre l'excellent (Osaka bondage pour une autre série de hurlements pattoniens sur fond de changements de directions constants, ou les délicieuses mélodies hispanisantes servies par les inflexions andines de Sofia Rei) et le plus anecdotique.
Mike Patton reste sur scène pour la suite, juste accompagné par Medeski (principalement à l'orgue), Trevor Dunn (elb) et Joey Baron (dms). Ils interprètent le dernier né des albums de Moonchild, Templars in Sacred Blood, fresque hardcore dédiée aux templiers. Cette messe noire semble invoquer toutes les figures de l'Enfer, effaçant les frontières du Bien et du Mal, entre psalmodies caverneuses en latin et cri bestial angoissant. Par sa thématique moyenâgeuse, cette œuvre semble être la face cachée - obscure - des pièces de musique contemporaine entendue dans l'après-midi, comme si, d'un bord à l'autre du spectre musical, Zorn n'était plus aujourd'hui occuper qu'à dialoguer avec les anges et les démons. Associés de longue date (ils se connaissent depuis le lycée et la formation de Mr Bungle), Mike Patton et Trevor Dunn injectent leur science du métal le plus noir dans les travaux d'alchimiste de Zorn pour un résultat très impressionnant.
Pour conclure le marathon, et finir de nous retourner la tête, l'Electric Masada s'impose. Que dire que je n'ai déjà dit ? C'était la cinquième fois que je voyais le groupe sur scène (c'est donc la formation zornienne que j'ai le plus souvent eu le bonheur d'entendre en concert) et pourtant le plaisir est toujours aussi intact. Zorn réenfourche son sax pour l'occasion (seulement la deuxième fois de la soirée) et propulse ses mélodies hébraïques dans le chaudron en fusion des deux batteries de Kenny Wollesen et Joey Baron (qui enchaîne quand même sa septième formation différente d'affilée), des percussions digitales d'Ikue Mori et des peaux tendues de Cyro Baptista. Final magistral, lyrique et nerveux, alliant le sens des couleurs des ensembles de la deuxième partie et la puissance impressionnante au centre de cette troisième partie en crescendo. Du coup, on remarque à peine la présence de Mathieu Amalric sur scène, occupé à prendre des photos des musiciens pour le documentaire sur Zorn qu'il est en train de réaliser. Tous les démons convoqués par Patton ne réussiraient de toute façon pas à détourner notre attention, emportés par l'orage sonique et submergés par le plaisir que nous sommes. Le marathon finit en apothéose, et l'on en ressort plus très sûr d'avoir encore suffisamment d'appétit pour la suite du festival. Revers de la médaille de l'excellence.
A lire ailleurs : Belette, Bladsurb, Pascal Rozat (1, 2 et 3).
mardi 10 septembre 2013
lundi 9 septembre 2013
John Zorn Marathon - 60th Birthday Celebration - Part 2 @ Grande Halle de la Villette, samedi 7 septembre 2013
Le temps d'avaler quelque chose chez un traiteur vietnamien du quartier, et il est déjà l'heure de faire la queue pour éviter de se retrouver trop haut placé dans les gradins de l'espace Charlie Parker de la Grande Halle, où se déroule la deuxième partie du marathon à partir de 19h.
Après les compositions contemporaines, cette deuxième étape fait la part belle à Zorn le coloriste et le mélodiste. Les quatre groupes qui se succèdent empruntent à divers style musicaux (jazz, klezmer, exotica, surf...) mais placent tous en leur centre de simples et belles mélodies servies par un gout certain pour les dynamismes chatoyants et les contrastes appuyés.
Le premier ensemble à se présenter sur scène est The Concealed, soit les cordes de Mark Feldman (vln), Erik Friedlander (vcl) et Trevor Dunn (cb) accompagnées par le piano de John Medeski et les percussions de Cyro Baptista, Kenny Wollesen (vib) et Joey Baron (dms). Les mélodies voyagent du côté de l'orient fantasmé - mais pas nécessairement sur un mode hébraïque. Contrairement à la première partie où seule la partition servait de guide aux interprètes, Zorn est désormais sur scène pour diriger la musique. Pour cette entrée en matière, il ne pousse cependant pas ses compagnons dans leurs retranchements, se contentant de les accompagner de quelques gestes vers des destinations évidentes. Du coup - et notamment comparé à ce qui va suivre - cela manque un peu de relief. La musique est cantonnée à un registre trop étroit - gammes mineures aux couleurs vaguement moyen-orientales - qui ne permet notamment pas aux cordes de faire ressortir tout le tranchant dont elles sont capables dans d'autres contextes.
Le plaisir monte brusquement d'un cran quand Dave Douglas (tp) et Greg Cohen (cb) rejoignent Zorn et Baron sur scène pour une courte mais intense prestation de Masada. Si le saxophoniste - qui souffle pour la première fois de la soirée dans son instrument - fête ses soixante ans, le quartet célèbre par la même occasion ses vingt ans d’existence puisque le First Live, enregistré à la Knitting Factory, remonte à septembre 1993 (même si la première réunion, sous le nom de Thieves Quartet, date en fait de juillet 1993, pour l'enregistrement d'une BO loin de la thématique juive). Le temps imparti étant compté, le quartet ne prend pas le temps d'un round d'observation et nous propose en accéléré tous les ingrédients qui font sa singularité : jeu à mains nues sur les peaux de Joey Baron, solos incisifs des souffleurs, chant profond de la contrebasse, explosions joyeuses ponctuant les douces mélopées hébraïsantes, et pour le coup un vrai sens des contrastes qui donne beaucoup de relief à la musique.
Relief, contraste, couleurs, c'est aussi ce qui caractérise la prestation de The Dreamers qui suit. Comme à Lisbonne il y a un mois, c'est beaucoup moins easy listening que les enregistrements sur disques. Zorn appuie sur les angles pour faire ressortir toute l'énergie rock dont est capable l'ensemble. Marc Ribot retrouve la place centrale qu'il m'avait semblé un peu délaisser lors des concerts portugais. Peut-être est-ce dû au format "marathon" qui oblige à condenser le propos pour aller immédiatement attaquer la substantifique moelle de chaque formation. Cyro Baptista, Kenny Wollesen et Joey Baron ont par bonheur plus de place que dans The Concealed pour réhausser de rythmes pimentés la potion magique zornienne. Particulièrement chatoyante, la prestation du groupe file à 100 à l'heure et on a à peine le temps de l'applaudir chaleureusement que Zorn passe déjà à l'étape suivante.
Imprévu au programme, le New Yorkais revient avec les cordes de Mark Feldman, Erik Friedlander et Greg Cohen pour les associer à Ribot, Baron et Baptista, soit le Bar Kokhba Sextet. S'ils semblaient un peu corsetés en début de concert, ils peuvent désormais faire preuve d'un lyrisme acéré, malgré le fou rire de Ribot, complètement largué par cet appendice inattendu. Les deux morceaux interprétés par l'ensemble sont néanmoins de haute volée, offrant un complément idéal à cette deuxième partie pleine de couleurs.
Après les compositions contemporaines, cette deuxième étape fait la part belle à Zorn le coloriste et le mélodiste. Les quatre groupes qui se succèdent empruntent à divers style musicaux (jazz, klezmer, exotica, surf...) mais placent tous en leur centre de simples et belles mélodies servies par un gout certain pour les dynamismes chatoyants et les contrastes appuyés.
Le premier ensemble à se présenter sur scène est The Concealed, soit les cordes de Mark Feldman (vln), Erik Friedlander (vcl) et Trevor Dunn (cb) accompagnées par le piano de John Medeski et les percussions de Cyro Baptista, Kenny Wollesen (vib) et Joey Baron (dms). Les mélodies voyagent du côté de l'orient fantasmé - mais pas nécessairement sur un mode hébraïque. Contrairement à la première partie où seule la partition servait de guide aux interprètes, Zorn est désormais sur scène pour diriger la musique. Pour cette entrée en matière, il ne pousse cependant pas ses compagnons dans leurs retranchements, se contentant de les accompagner de quelques gestes vers des destinations évidentes. Du coup - et notamment comparé à ce qui va suivre - cela manque un peu de relief. La musique est cantonnée à un registre trop étroit - gammes mineures aux couleurs vaguement moyen-orientales - qui ne permet notamment pas aux cordes de faire ressortir tout le tranchant dont elles sont capables dans d'autres contextes.
Le plaisir monte brusquement d'un cran quand Dave Douglas (tp) et Greg Cohen (cb) rejoignent Zorn et Baron sur scène pour une courte mais intense prestation de Masada. Si le saxophoniste - qui souffle pour la première fois de la soirée dans son instrument - fête ses soixante ans, le quartet célèbre par la même occasion ses vingt ans d’existence puisque le First Live, enregistré à la Knitting Factory, remonte à septembre 1993 (même si la première réunion, sous le nom de Thieves Quartet, date en fait de juillet 1993, pour l'enregistrement d'une BO loin de la thématique juive). Le temps imparti étant compté, le quartet ne prend pas le temps d'un round d'observation et nous propose en accéléré tous les ingrédients qui font sa singularité : jeu à mains nues sur les peaux de Joey Baron, solos incisifs des souffleurs, chant profond de la contrebasse, explosions joyeuses ponctuant les douces mélopées hébraïsantes, et pour le coup un vrai sens des contrastes qui donne beaucoup de relief à la musique.
Relief, contraste, couleurs, c'est aussi ce qui caractérise la prestation de The Dreamers qui suit. Comme à Lisbonne il y a un mois, c'est beaucoup moins easy listening que les enregistrements sur disques. Zorn appuie sur les angles pour faire ressortir toute l'énergie rock dont est capable l'ensemble. Marc Ribot retrouve la place centrale qu'il m'avait semblé un peu délaisser lors des concerts portugais. Peut-être est-ce dû au format "marathon" qui oblige à condenser le propos pour aller immédiatement attaquer la substantifique moelle de chaque formation. Cyro Baptista, Kenny Wollesen et Joey Baron ont par bonheur plus de place que dans The Concealed pour réhausser de rythmes pimentés la potion magique zornienne. Particulièrement chatoyante, la prestation du groupe file à 100 à l'heure et on a à peine le temps de l'applaudir chaleureusement que Zorn passe déjà à l'étape suivante.
Imprévu au programme, le New Yorkais revient avec les cordes de Mark Feldman, Erik Friedlander et Greg Cohen pour les associer à Ribot, Baron et Baptista, soit le Bar Kokhba Sextet. S'ils semblaient un peu corsetés en début de concert, ils peuvent désormais faire preuve d'un lyrisme acéré, malgré le fou rire de Ribot, complètement largué par cet appendice inattendu. Les deux morceaux interprétés par l'ensemble sont néanmoins de haute volée, offrant un complément idéal à cette deuxième partie pleine de couleurs.
dimanche 8 septembre 2013
John Zorn Marathon - 60th Birthday Celebration - Part 1 @ Cité de la Musique, samedi 7 septembre 2013
Retrouvailles avec John Zorn, un mois à peine après l'avoir vu trois soirs de suite à Lisbonne dans le cadre de Jazz em Agosto. Format différent pour Jazz à la Villette, avec cette fois-ci trois riches parties qui s'enchaînent, de 16h à 1h du matin, avec quelques pauses heureuses pour éviter l'indigestion.
La salle des concerts de la Cité de la Musique accueille à 16h la première partie, centrée sur les compositions de musique contemporaine de Zorn. Trois pièces récentes, dont deux encore inédites au disque, sont présentées. Illuminations, The Holy Visions et The Alchemist, les titres de ces œuvres en disent long sur les préoccupations actuelles de Zorn, entre occultisme, mysticisme et magie. Le concert commence par un trio piano-contrebasse-batterie qui mêle l'écrit - pour le piano - et l'improvisé - pour la section rythmique. Parue sur son disque en hommage à Rimbaud (l'une de ses meilleures productions récentes, avec Interzone, à mon goût), cette pièce fascine par cette tension maintenue de bout en bout entre une écriture contemporaine dynamique, servie par le piano de Stephen Gosling, et une rythmique libre qui puise délibérément dans un vocabulaire jazz. Trevor Dunn (cb) et Kenny Wollesen (dms) accentuent ainsi, par l'énergie qu'ils dégagent, les surprises préméditées de la partition en leur rendant une dose de spontanéité. On retrouve alors, éclairée sous un angle inédit, une des préoccupations principales de l’œuvre de Zorn depuis ses game
pieces : comment composer à partir du geste improvisé.
La deuxième pièce entre en résonance avec des préoccupations plus récentes du New Yorkais. A l'instar de ce qu'on a pu entendre autour du Cantique des Cantiques ou sur le volume XXII des Filmworks, The Holy Visions mettent en valeur cinq voix féminines, a cappella. Nouveauté toutefois, cette fois-ci des paroles articulées - en latin - surgissent au milieu des subtiles harmonies empruntant aussi bien au madrigal Renaissance qu'aux polyphonies d'Afrique centrale ou au langage du minimalisme américain. Jane Sheldon, Lisa Bielawa, Melissa Hughes, Abby Fischer et Kirsten Sollek, toutes très élégantes dans des tenues se limitant au noir et blanc, se saisissent successivement du discours. Si l'on perd un peu - par rapport aux œuvres sus-citées - le caractère hypnotique induit par l'absence de langage, on gagne en revanche en dynamisme, avec des combinaisons sonores plus variées. La composition se veut un hommage à Hildegard von Bingen, sainte catholique, religieuse bénédictine du XIIe siècle et compositrice d'un imposant corpus de chants liturgiques. Également femme de lettres, médecin et inventrice d'une langue artificielle, elle avait tout pour fasciner Zorn.
La troisième pièce au programme est un nouveau quatuor à cordes (le sixième composé par Zorn me semble-t-il) interprété pour l'occasion par le quatuor Arditti. Par rapport aux précédents essais en la matière, l'écriture s'éloigne des modèles habituels (seconde école de Vienne qui influençait fortement le précédent par exemple) et resserre le propos autour d'un langage typiquement zornien - jusqu'à introduire des inflexions parfois proche de Masada, notamment sur la fin, assez inhabituelles dans le contexte des pièces de musiques contemporaines du compositeur. Moins d'art du zapping également, le discours semble presque narratif, servi par l'interprétation au cordeau d'Irvine Arditti et des ses acolytes. Sans doute le plus beau des quatuors écrits par Zorn jusque là, par la maîtrise affirmée de son propre langage, affranchi des influences trop explicites.
La salle des concerts de la Cité de la Musique accueille à 16h la première partie, centrée sur les compositions de musique contemporaine de Zorn. Trois pièces récentes, dont deux encore inédites au disque, sont présentées. Illuminations, The Holy Visions et The Alchemist, les titres de ces œuvres en disent long sur les préoccupations actuelles de Zorn, entre occultisme, mysticisme et magie. Le concert commence par un trio piano-contrebasse-batterie qui mêle l'écrit - pour le piano - et l'improvisé - pour la section rythmique. Parue sur son disque en hommage à Rimbaud (l'une de ses meilleures productions récentes, avec Interzone, à mon goût), cette pièce fascine par cette tension maintenue de bout en bout entre une écriture contemporaine dynamique, servie par le piano de Stephen Gosling, et une rythmique libre qui puise délibérément dans un vocabulaire jazz. Trevor Dunn (cb) et Kenny Wollesen (dms) accentuent ainsi, par l'énergie qu'ils dégagent, les surprises préméditées de la partition en leur rendant une dose de spontanéité. On retrouve alors, éclairée sous un angle inédit, une des préoccupations principales de l’œuvre de Zorn depuis ses game
pieces : comment composer à partir du geste improvisé.
La deuxième pièce entre en résonance avec des préoccupations plus récentes du New Yorkais. A l'instar de ce qu'on a pu entendre autour du Cantique des Cantiques ou sur le volume XXII des Filmworks, The Holy Visions mettent en valeur cinq voix féminines, a cappella. Nouveauté toutefois, cette fois-ci des paroles articulées - en latin - surgissent au milieu des subtiles harmonies empruntant aussi bien au madrigal Renaissance qu'aux polyphonies d'Afrique centrale ou au langage du minimalisme américain. Jane Sheldon, Lisa Bielawa, Melissa Hughes, Abby Fischer et Kirsten Sollek, toutes très élégantes dans des tenues se limitant au noir et blanc, se saisissent successivement du discours. Si l'on perd un peu - par rapport aux œuvres sus-citées - le caractère hypnotique induit par l'absence de langage, on gagne en revanche en dynamisme, avec des combinaisons sonores plus variées. La composition se veut un hommage à Hildegard von Bingen, sainte catholique, religieuse bénédictine du XIIe siècle et compositrice d'un imposant corpus de chants liturgiques. Également femme de lettres, médecin et inventrice d'une langue artificielle, elle avait tout pour fasciner Zorn.
La troisième pièce au programme est un nouveau quatuor à cordes (le sixième composé par Zorn me semble-t-il) interprété pour l'occasion par le quatuor Arditti. Par rapport aux précédents essais en la matière, l'écriture s'éloigne des modèles habituels (seconde école de Vienne qui influençait fortement le précédent par exemple) et resserre le propos autour d'un langage typiquement zornien - jusqu'à introduire des inflexions parfois proche de Masada, notamment sur la fin, assez inhabituelles dans le contexte des pièces de musiques contemporaines du compositeur. Moins d'art du zapping également, le discours semble presque narratif, servi par l'interprétation au cordeau d'Irvine Arditti et des ses acolytes. Sans doute le plus beau des quatuors écrits par Zorn jusque là, par la maîtrise affirmée de son propre langage, affranchi des influences trop explicites.