Très grand concert du nouveau quintet de Dave Douglas au Sunside hier soir ! Je n'avais sans doute pas pris autant de plaisir depuis le concert de Wayne Shorter à Pleyel en novembre dernier. Et il est d'ailleurs révélateur que les ressorts de cette joie soient relativement similaires : une musique qui emporte avec elle, à la sonorité ample, chaleureuse, dense, et qui s'autorise une liberté formelle extraordinaire.
Avec un line-up renouvelé (Jon Irabagon au sax ténor, Matt Michell au piano, Linda Oh à la contrebasse et Rudy Royston à la batterie), le trompettiste situe plus que jamais son quintet dans la descendance du second quintet de Miles - celui avec Shorter, nécessairement - non pas dans la recherche d'un son d'époque (ce n'est clairement pas le propos), mais dans une manière partagée d'insuffler une forte dose de liberté dans l'interplay tout en conservant pour autant un vrai amour des belles formes. La musique s'autorise ainsi de folles poursuites free bop au caractère particulièrement urbain, mais aussi de majestueuses marches et de belles mélodies folk qui sentent bon la ruralité, ainsi que de grandes bouffées d'air frais qui évoquent la nature américaine dans tout ce qu'elle a de plus spectaculaire. Pas étonnant d'apprendre qu'en cette année où il célèbre son cinquantième anniversaire, Dave Douglas ait décidé de donner au moins un concert dans chaque État américain, et si possible en plein air, au contact d'une nature qui "s'entend" de plus en plus dans ses compositions. Si au début de sa carrière les références européennes (classiques, folklores de l'Est...) se taillaient la part du lion, on découvre disque après disque, en retraçant une chronologie longue d'une vingtaine d'années, une américanisation réelle de l'écriture qui débouche aujourd'hui sur une musique imagée qui entre en résonance forte avec son environnement immédiat.
Au-delà des qualités d'écriture du trompettiste, cette musique vit aussi, et surtout, par l'investissement sans faille de ses interprètes. Assis au premier rang, à un mètre du batteur, je n'ai pas manqué une goutte de leur potion magique. Même si, de par mon positionnement, le piano de Matt Mitchell était parfois un peu couvert par les souffleurs et la paire rythmique dans les passages a tutti, il y avait assez de combinaisons sonores différentes au cours des morceaux pour pouvoir profiter de tout le monde. La fougue espiègle de Jon Irabagon, nourrie de son expérience tradiconoclaste au sein de Mostly Other People Do The Killing. L'inventivité harmonique de Matt Mitchell, développée au contact des labyrinthes soniques timberniens. Le sens de la narration imagée des solos de Linda Oh. Mais surtout - et c'était la découverte de la soirée pour moi - le très large champ des possibles de la batterie de Rudy Royston, changeant de registre d'un morceau à l'autre, mais toujours d'une élégance rare dans la manière d'apporter du support aux autres membres du quintet. Et puis, bien sûr, il y a la sonorité claire, précise, toujours extrêmement musicale de la trompette de Dave Douglas, resplendissante dans les douces mélopées folk comme dans les attaques franches d'un post-bop new yorkais échevelé.
En étant assis aussi près des musiciens, j'avais en outre le privilège de pouvoir entendre tout ça sans le filtre de l'amplification, au plus près de la matière de chaque instrument. Bref, des conditions quasi idéales pour avoir la sensation d'être conduit au cœur de la musique, emporté par une vague de bonheur immense qui n'est pas retombée un seul moment durant les deux généreux sets (2h30 de concert) offerts par le quintet. Oui, un très grand concert.
jeudi 25 juillet 2013
dimanche 21 juillet 2013
Steve Swallow Quintet @ New Morning, jeudi 18 juillet 2013
Étonnamment, cela faisait quasiment deux ans (octobre 2011) que je n'avais pas mis les pieds au New Morning, une salle qui fit pourtant beaucoup pour ma découverte du jazz live. La présence du quintet de Steve Swallow (elb) avec Carla Bley (org), Chris Cheek (ts), Steve Cardenas (g) et Jorge Rossy (dms) ce jeudi me donnait une belle occasion de renouer avec de saines habitudes. La précédente fois que j'avais vu Carla Bley et Steve Swallow sur la scène du New Morning (juillet 2006, en big band), cela avait d'ailleurs débouché sur un disque (Appearing Nighlty, Watt/ECM, 2008).
Cette fois-ci les rôles traditionnels sont inversés puisque c'est le bassiste et non la pianiste - exclusivement à l'orgue ce soir - qui se présente en leader, et compositeur. Les morceaux portent d'ailleurs tous la marque d'une élégance propre à cet esthète de la basse électrique : une attitude cool, aux mélodies soyeuses, portées par un groove discret mais irrésistible. Ce groupe s'éloigne de toute esbroufe. La retenue est ici érigée au rang de référence absolue du bon goût. Est-ce à dire que le manque de substance n'est parfois pas loin ? Le petit miracle de l'ensemble est justement de réussir à maintenir, en toutes circonstances, des tourneries rythmiques obsédantes qui ne remettent pas en cause le partie pris esthétique de base, tout en fournissant une matière solide qui permet d'éviter à l'attention de retomber.
Chris Cheek, souvent entendu sur disque mais que, je pense, je voyais pour la première fois sur scène*, me fait une particulièrement bonne impression, par cette manière qu'il a de produire un son de ténor puissant et chaleureux tout en se tenant à distance des envolées paroxystiques du sax hero. Jorge Rossy apporte, lui, une touche d'espièglerie à l'ensemble, notamment quand il utilise une peluche pour frapper ses peaux ou qu'il déclenche brutalement un coup sec sur sa caisse claire au cours d'un morceau inspiré à Steve Swallow par sa lecture frénétique de romans policiers. Ces qualités de maîtrise et d'humour se retrouvent dans le jeu du leader, comme dans ses interventions au micro entre les morceaux. Steve Swallow semble ainsi avoir mis sur pied un groupe à son image, prolongement idéal de son élégance décontractée qui pourrait aisément le faire passer pour Britannique.
Par sa fraîcheur, cette musique produit un effet particulièrement adapté à un soir d'été, alors que la chaleur à du mal à retomber dans les rues de la capitale.
A lire ailleurs : Ludovic Florin.
---
* En fait, non, je l'ai vu il y a dix ans au sein de l'Electric Be Bop Band de Paul Motian (Jazz à la Villette 2003). Steve Cardenas était lui aussi de la partie d'ailleurs. Mais le seul souvenir que je garde de ce concert est celui d'une grande déception... d'où peut-être mon sentiment de (re)découverte aujourd'hui.
Cette fois-ci les rôles traditionnels sont inversés puisque c'est le bassiste et non la pianiste - exclusivement à l'orgue ce soir - qui se présente en leader, et compositeur. Les morceaux portent d'ailleurs tous la marque d'une élégance propre à cet esthète de la basse électrique : une attitude cool, aux mélodies soyeuses, portées par un groove discret mais irrésistible. Ce groupe s'éloigne de toute esbroufe. La retenue est ici érigée au rang de référence absolue du bon goût. Est-ce à dire que le manque de substance n'est parfois pas loin ? Le petit miracle de l'ensemble est justement de réussir à maintenir, en toutes circonstances, des tourneries rythmiques obsédantes qui ne remettent pas en cause le partie pris esthétique de base, tout en fournissant une matière solide qui permet d'éviter à l'attention de retomber.
Chris Cheek, souvent entendu sur disque mais que, je pense, je voyais pour la première fois sur scène*, me fait une particulièrement bonne impression, par cette manière qu'il a de produire un son de ténor puissant et chaleureux tout en se tenant à distance des envolées paroxystiques du sax hero. Jorge Rossy apporte, lui, une touche d'espièglerie à l'ensemble, notamment quand il utilise une peluche pour frapper ses peaux ou qu'il déclenche brutalement un coup sec sur sa caisse claire au cours d'un morceau inspiré à Steve Swallow par sa lecture frénétique de romans policiers. Ces qualités de maîtrise et d'humour se retrouvent dans le jeu du leader, comme dans ses interventions au micro entre les morceaux. Steve Swallow semble ainsi avoir mis sur pied un groupe à son image, prolongement idéal de son élégance décontractée qui pourrait aisément le faire passer pour Britannique.
Par sa fraîcheur, cette musique produit un effet particulièrement adapté à un soir d'été, alors que la chaleur à du mal à retomber dans les rues de la capitale.
A lire ailleurs : Ludovic Florin.
---
* En fait, non, je l'ai vu il y a dix ans au sein de l'Electric Be Bop Band de Paul Motian (Jazz à la Villette 2003). Steve Cardenas était lui aussi de la partie d'ailleurs. Mais le seul souvenir que je garde de ce concert est celui d'une grande déception... d'où peut-être mon sentiment de (re)découverte aujourd'hui.