Jusqu'au 18 juillet, le MAHJ se penche sur la Radical Jewish Culture. A travers une exposition sur les racines et l'histoire de ce slogan, plus proche du questionnement permanent que de la revendication d'une esthétique partagée. Et à travers une série de concerts avec quelques figures emblématiques de ce que l'on ne peut même pas appeler un mouvement. Volontairement ou non, le concert de ce mercredi remettait même en cause le sous-titre de l'exposition : Scène musicale New York. Ben Goldberg, clarinettiste essentiel de la "jewish music beyond klezmer" chère à John Zorn, est en effet une figure de la scène alternative de la Bay Area (San Francisco). D'une côte à l'autre, sa présence était toutefois entièrement naturelle, Zorn n'ayant cessé, au fil des années, de citer le New Klezmer Trio du clarinettiste comme une des inspirations majeures de Masada. En questionnant le lien un peu trop évident et exclusif entre la Downtown Scene new-yorkaise et la Radical Jewish Culture, ce concert avait ainsi pour premier mérite de briser quelques idées reçues.
Le premier disque du New Klezmer Trio est en effet paru en 1990, soit quelques années avant qu'autour de John Zorn et de la première Knitting Factory une scène identifiable ne se structure à New York. Contrairement à d'autres groupes pionniers de la fusion entre tradition yiddish et musiques actuelles au tournant des années 80-90 (on pense aux Klezmatics), l'esthétique du New Klezmer Trio semble alors s'écarter volontairement de l'approche jubilatoire et virtuose qui colle à la peau du klezmer. Plus retenue, plus abstraite, plus jazz, la musique de Ben Goldberg (cl), Dan Seamans (cb) et Kenny Wollesen (dms) jette comme un pont entre les développements les plus sophistiqués du jazz West Coast - comment ne pas songer aux expérimentations en trio de Jimmy Giuffre par moment - et le répertoire traditionnel. Comme une prolongation, aussi, de la démarche de Shelly Manne ou Terry Gibbs, qui mêlaient dans les années 60 chansons traditionnelles et jazz californien. Bref, une musique antérieure - et par bien des aspects différente - à la mainmise de la scène alternative new-yorkaise sur la new jewish music.
Au fil de ses disques, le New Klezmer Trio a progressivement abandonné les morceaux traditionnels au profit des compositions de ses membres. Ainsi, alors qu'en 1990, sur Masks and Faces, six arrangements côtoient quatre compositions originales, en 1993, sur Melt Zonk Rewire, la proportion passe à trois contre onze, avant qu'en 1999, sur Short for something, il n'y ait plus qu'un seul morceau qui ne soit pas signé d'un des musiciens du trio. Pour son plus récent disque dans cette configuration, Ben Goldberg a même abandonné la dénomination New Klezmer Trio (la contrebasse changeant aussi de mains, passant de Dan Seamans à Greg Cohen). Sur Speech Communication, paru l'an dernier sur Tzadik et dont un extrait est disponible dans le jukebox 2009, toutes les compositions sont du clarinettiste. C'est cette configuration - Goldberg, Cohen, Wollesen - qui se présente sur la scène de l'auditorium du musée.
Ceux qui étaient venus entendre un mélange joyeux de jazz et de klezmer - habitués par exemple à la fougue de David Krakauer - ont dû être surpris. Les quelques défections de spectateurs tout au long du concert semblent indiquer une certaine incompréhension face à cette musique décidément éloignée de tous les clichés du genre. Pour ma part, je ne boude pas mon plaisir. Rien de démonstratif ici, tout est retenu, subtil - mono-chromique et extatique par moment - avec un Ben Goldberg concentré sur les textures, le choix de la juste note et un sens très délicat du silence et de la respiration. La coloration klezmer n'est pas mise en avant - même si quelques inflexions de-ci de-là ponctuent le discours du clarinettiste. La dette respectueuse envers la liberté de forme des trios de Jimmy Giuffre est en revanche partout présente. Elle transpire dans cette musique audacieuse à défaut d'être expressive. On entend également des musiciens à l'écoute de la culture classique, du folk chambriste que pratique par ailleurs Ben Goldberg au sein de Tin Hat, et d'un jazz frisellien basé sur l'étirement du temps et le goût des grands espaces. Le trio n'en oublie néanmoins pas le cœur du jazz moderne et propose, en guise de rappel, une interprétation d'un standard monkien en hommage à Steve Lacy, Américain de Paris qui enregistra d'ailleurs à la fin des années 90 un disque en solo pour la série Radical Jewish Culture de Tzadik. Une manière de boucler la boucle, tout en ayant pris soin de faire déborder dans de multiples directions une musique qu'il serait bien dommage d'enfermer dans une catégorisation trop immédiate.
A voir, un extrait du concert :
L'intégralité du concert est visible sur le site d'Akadem.
A lire ailleurs : Belette sur les concerts du duo Sylvie Courvoisier / Mark Feldman et de l'Aleph Trio (Zorn/Dunn/Baron).